Paris détruit. Le patrimoine parisien de 1790 et son évolution jusqu'en 2000


Paris détruit, Paris vandalisé, Paris rasé, Paris en ruines… On ne compte plus le nombre de livres sur le Paris disparu, ce « vieux Paris » que la nostalgie d’un passé largement mythifié porte au pinacle. En général, on incrimine le vandalisme de la Révolution ainsi que les travaux d’Haussmann.

Cette approche très sommaire mérite d’être précisée. Il faut analyser plus finement, par périodes, ces destructions, leurs causes et leurs contextes.

Pour cela, on a cartographié de la Révolution à l’an 2000, le devenir des bâtiments remarquables indiqués sur le plan de Paris en 1790 et disparus aujourd’hui selon trois catégories d’édifices :

  •       Les églises et les couvents. Cette catégorie est exhaustive des bâtiments religieux qui existent en 1790. Elle comporte alors 230 édifices.
  •       Les hôtels particuliers soit 784 bâtiments. Liste non exhaustive, mais comportant la quasi-totalité des hôtels importants.
  •       Les autres bâtiments : collèges, hôpitaux, bâtiments de la couronne et autres édifices publics. Ils représentent 234 bâtiments.

Au total, sur les 1248 édifices existant en 1790, 683 ont été démolis entre 1790 et 2000 soit 55%. En un peu plus de deux siècles, le patrimoine architectural de l’Ancien Régime s’est très fortement réduit selon des rythmes et des modalités diverses.



Le bâti de 1790 et son évolution jusqu'en  2000

 

 

  



Les causes des destructions

Le renouvellement urbain constitue le premier motif des démolitions. Du simple propriétaire qui rebâtit son immeuble pour l’agrandir et le mettre au goût du jour au noble qui vend son hôtel pour en construire un plus prestigieux et au spéculateur qui lotit et densifie de grands terrains, dans la ville densément bâtie pour construire il faut démolir.

Les guerres et les catastrophes. Paris n’a pas connu, comme Londres en 1666, d’incendies dévastateurs (sauf pour les théâtres). L’impact des guerres, bombardements prussiens en 1870 et des deux guerres mondiales, a été très limité. Les destructions de la Commune qui visent les édifices symboles du pouvoir (Tuileries, Hôtel de Ville) ont plus fortement marqué la ville.

Les opérations d’urbanisme. La volonté politique de moderniser la ville pour l’embellir, améliorer la circulation, supprimer l’habitat insalubre est ancienne mais ne se traduit dans les faits qu’à partir du XIXème siècle. Très importantes avec Napoléon III et Haussmann, ces opérations se poursuivent jusqu’à nos jours.


Les destructions

La Révolution et le Premier Empire, de 1790 à 1820 
(voir La Révolution et les Biens Nationaux)

Durant la Révolution et le Premier Empire, ce sont, très majoritairement, les églises, couvents et abbayes qui disparaissent en premier. Bâtiments spécifiques, ils sont difficilement réutilisables en l’état ; seules quelques grandes églises paroissiales sont conservées. Des édifices appartenant au roi (La Bastille, le Châtelet), quelques collèges et hôpitaux, souvent médiévaux, sont également démolis.
 

La Restauration et la Monarchie de Juillet, 1820 – 1850

En opposition à la période précédente, ce sont les hôtels particuliers, souvent avec de grands jardins, qui sont lotis. C’est tout particulièrement le cas à la Chaussée d’Antin et à la Nouvelle Athènes, quartiers alors à la mode dans lesquels la pression foncière est forte.

En 1850, 67% des édifices religieux de 1790, 13% des hôtels et 39% des autres bâtiments ont été détruits.

 
 Les démolitions entre 1790 et 1850
                           et les biens nationaux

Le Second Empire et la Troisième République, 1850 – 1900

Les démolitions directement dues aux percées haussmanniennes sont fortement concentrées dans trois secteurs : autour des Halles (percée de la rue du Louvre), de la place de l’Opéra et du faubourg Saint-Germain : percées du tronçon ouest du boulevard Saint-Germain (1866-1878) et du boulevard Raspail. De nombreux bâtiments publics sont reconstruits (Hôtel-Dieu, Palais de Justice, Sorbonne…), les barrières d’octroi construites par Ledoux, devenues inutiles, disparaissent (environ 44). Les incendies de la Commune touchent les Tuileries et l’Hôtel de Ville (agrandi de 1837 à 1848).

Durant cette période, 9% des édifices religieux de 1790, 17% des hôtels et 41% des autres bâtiments ont été détruits.

 
Les démolitions de 1850 à 1900 et les percées haussmanniennes

Le XXème siècle, 1900 - 2000

Les destructions effectuées au XXème siècle, concernent 4% du patrimoine religieux de 1790, 8% des hôtels particuliers, notamment dans le Marais où ils avaient été épargnés jusque-là, et près de 7% des édifices « autres » dont les hôpitaux des Quinze-Vingt et des Enfants-Trouvés au faubourg Saint-Antoine, celui de la Charité rue des Saints-Pères[1].



  
Le palais des Tuileries après l'incendie.
Jean-Eugène Durand. RMN

Démolition de l'église Sainte-Geneviève en 1807. Musée Carnavalet


La protection du patrimoine.

En réaction aux violences contre les monuments symboliques de l’église et de la monarchie, une première prise de conscience de l’intérêt du patrimoine apparaît dès 1792 avec la création d’une Commission des Monuments pour préserver les chefs-d’œuvre des arts. En 1794, Félix Vicq d’Azir, Bertholet, Lamarck présentent un projet d’inventaire des objets servant aux arts, aux sciences et à l’enseignement ; l’abbé Grégoire dénonce le « vandalisme » révolutionnaire. 

Alexandre Lenoir sauve des tombeaux et des éléments d’architecture et crée aux Petits Augustins le musée des Monuments français[2]. En 1801, le Concordat permet une pacification religieuse ; l’année suivante, le Génie du Christianisme de Chateaubriand réhabilite l’architecture gothique. En 1816, Alexandre de Laborde publie Les monuments de la France et magnifie Victor Hugo Notre-Dame de Paris en 1831. Le regard sur le patrimoine évolue mais aucune mesure de protection n’est prise.

Louis-Philippe et Guizot pensent réconcilier les Français grâce à l’histoire et à la sauvegarde du patrimoine ancien. Le poste d’inspecteur général des monuments historiques est créé en 1830 ; en 1837, il est confié à Prosper Mérimée qui l’occupera jusqu’en 1860. En 1837, est créée la Commission des Monuments Historiques. En 1840, Mérimée établit une liste de 1 000 bâtiments à restaurer[3], tous propriétés de l’Etat, des départements ou des communes ; cette liste permet d’orienter les crédits. L’intérêt est alors limité aux monuments antiques et médiévaux. Félix Duban et Jean-Baptiste Lassus restaurent la Sainte-Chapelle à partir de 1836. En 1843, Eugène Viollet-le-Duc et Jean-Baptiste Lassus engagent la restauration de Notre-Dame de Paris.



Musée des Monuments français. Salle du XVe siècle. Musée Carnavalet.



Haussmann fonde en 1860 le Service historique de la ville de Paris, confié à Théodore Vacquer qui va entreprendre des fouilles archéologiques à l’occasion des grands travaux. Charles Marville photographie les immeubles à détruire. Sous la 3ème République, dans une optique nationaliste, les monuments illustrent la continuité de l’histoire de France et deviennent le symbole de la nation ; l’intérêt s’étend à la Renaissance et à l’architecture classique. Les lois de 1887 et de 1913 fixent les conditions de classement des édifices au titre de monuments historiques et les modalités de conservation et de restauration ; des servitudes sont imposées aux propriétés privées et des sanctions sont prévues en cas de travaux sans autorisation. 4 454 monuments sont classés en 1914. A Paris, la Commission (municipale) du Vieux Paris est créée en 1897. En 1925, une procédure d’inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques est instituée. En 1962André Malraux fait passer une loi sur les secteurs sauvegardés pour protéger des quartiers de villes. A Paris, ceux du Marais et du faubourg Saint-Germain.

Au fil du temps, le regard porté sur le patrimoine évolue. Ce n’est qu’à partir de 1960 que les protections s’étendent aux édifices du XIXème et du XXème siècles, au patrimoine industriel et aux constructions vernaculaires. En 2015, 44 00 édifices sont protégés au titre des monuments historique dont 1 823 à Paris (434 classés, 1 389 inscrits).



[1] Démoli en 1935-1937 et remplacé par la Faculté de médecine de Paris.

[2] Aujourd’hui Ecole des Beaux-Arts.

[3] Mais aucun à Paris.


Voir aussi 

La Révolution et les Biens Nationaux


Liens externes

Le patrimoine monumental de la France


Sources

Patrimoine parisien 1789-1799. délégation à l'action artistique de la ville de Paris.1989.

Pierre Pinon. Paris détruit. Parigramme. 2011.