Le Gros-Caillou, les Invalides, l'Ecole Militaire


Jusqu’au XVIIIe siècle et à la construction des Invalides ce secteur de Paris, divisé entre les abbayes de Saint-Germain-des-Prés et de Sainte-Geneviève, reste rural, traversé par deux chemins de Paris à Issy : le chemin des vaches ou chemin d’en-bas (devenu par la suite rue Saint-Dominique), situé en limite de la zone inondable et le chemin de Grenelle (ou des charbonniers). Ces chemins desservent la ferme de Grenelle, grande exploitation agricole qui dépendait de Sainte-Geneviève. Avec l’implantation de l’hôtel des Invalides, fin XVIIe s., une petite agglomération se crée sur le chemin des vaches pour laquelle une chapelle, puis église, est construite au XVIIIe.

 
  ^ 1700
 
1790  ^  

L’île Maquerelle ou île des Cygnes, longtemps formée d’îlots inondables, reçoit au XVIIIe des activités nuisantes, mais indispensables, pour la ville : dépôts de bois, déchirure des bateaux, triperie. En 1786, les frères Périer y installent une pompe à feu destinée à alimenter les fontaines de la rive gauche à partir de la Seine. En 1773, la ville décide de combler le petit bras et de rattacher l’île à la berge. Avec la construction de l’Ecole Militaire et l’aménagement du Champ de Mars (achevés vers 1780), le quartier commence à se bâtir le long de la rue Saint-Dominique et de la rue de Grenelle.

Il présente alors un fort contraste entre le cœur du quartier et trois espaces majeurs à l’échelle de la ville : l’hôtel des Invalides et son esplanade, l’Ecole Militaire et le Champ de Mars et, au nord, la Seine. Ces espaces enserrent et isolent du reste de la ville l’espace central du quartier autour des rues de Grenelle et Saint-Dominique, mais aussi le petit quartier autour de la ferme de Grenelle qui ne se construira qu’après 1850. Les Invalides et l'Ecole Militaire génèrent par ailleurs, au sud du quartier, de l’avenue de La Motte-Piquet au boulevard des Invalides, un réseau de grandes avenues cadre de l’urbanisation pour l’essentiel dans la seconde moitié du XIXe s.

Les trois espaces majeurs, complétés sur la rive droite par la colline de Chaillot, face au Champ de Mars, sont le support de projets de prestige. Napoléon Ier et ses architectes Percier et Fontaine en implantant le Palais du Roi de Rome sur la colline de Chaillot, réaménagent le Champs de Mars et prévoient un front bâti monumental sur la rive gauche entre les deux esplanades, à l’emplacement de l’île des Cygnes : Palais des Archives, Palais de l’Université, Palais des Beaux-Arts. Les travaux ne sont engagés qu’en 1812 et s’arrêtent en 1815.


Aménagement de la colline de Chaillot >
Palais du Roi de Rome. Bibliothèque historique de la ville de Paris 
 


 
 ^ vue du Palais du Roi de Rome. Ecole des Beaux-Arts

vue du Palais des Archives ^



Projet de Poyet pour la façade de l'Université


Si l’Empire avait duré, Paris eût été doté d’espaces et de bâtiments néo-classique assez grandiloquents. Il est étonnant de voir combien ces projets sont proches de ceux des dictatures des années 1930 !

En 1792, Charles François Phélippon implante une manufacture de tabacs à côté de la triperie. Grace au monopole institué sous l’Empire, cette manufacture se développe rapidement dans la première moitié du XIXe siècle et devient l’une des plus importantes usines de Paris. En 1870, elle compte près de 2000 ouvriers, en majorité des femmes, et fournit le tiers de la consommation française de cigarettes et de cigares; elle ferme en 1905. Le quartier du Gros-Caillou s’urbanise rapidement au XIXe siècle. Il comporte alors, outre la manufacture, de nombreuses entreprises dans la métallurgie et le bâtiment et beaucoup d’emplois féminins dans la lingerie, la chemiserie et les articles de Paris.

A partir de 1867, les expositions universelles vont utiliser tout ou partie des grands espaces libres du Champ de Mars et de l'esplanade des Invalides. L’exposition de 1867 est limitée au Champ de Mars (illustration cliquez ici). Celles de 1878 et de 1889 englobent également la colline de Chaillot (Palais du Trocadéro, construit par Davioud en 1878, Tour Eiffel en 1889), l’esplanade des Invalides et les quais. En 1900, l’emprise s’étend encore plus largement sur la rive droite (pont Alexandre III, Grand et Petit Palais, cours La Reine).

A part la perspective Champ de Mars / Trocadéro, la Tour Eiffel et le pont Alexandre III, les expositions universelles ont laissé peu de trace sur l’urbanisation du quartier. En particulier elles n’ont  pas permis au quartier de bénéficier de dessertes ferroviaires satisfaisantes, Les gares construites pour les expositions de 1878 et de 1900 ont disparu (la gare du Champ de Mars, devenue gare de marchandises et dépôt de charbon, est démolie pour l’exposition de 1937) ou sont de nos jours bien modestes sur la ligne C du RER. 

 
  ^ 1850
 
1900  ^  

Haussmann relie le Gros-Caillou à la rive droite par le pont de l'Alma et les avenues Rapp et Bosquet. Les abords du Champ de Mars sont lotis (av. Charles Floquet, Elisée Reclus, Emile Deschanel) en 1907, cependant que le cœur du quartier évolue plus lentement en conservant un caractère calme et quelque peu provincial.


L’évolution du parcellaire

Les parcelles rurales, longues et assez larges, perpendiculaires au fleuve, sont sensiblement identiques à celles du faubourg Saint-Germain. Mais, contrairement au faubourg, elles n’accueillent pas d’hôtels particuliers. Jusque dans les années 1830, elles restent, en dehors du front bâti plus ou moins continu sur rue, occupées par des jardins maraîchers. L’urbanisation prend la forme de passages (passage Saint-Dominique, aujourd’hui rue Augereau, passage de l’Alma devenu rue de l’exposition en 1867, passage Jean Nicot, rue Duvivier… ) permettant de lotir la parcelle. Il est à noter qu’il s’agit de lotissements assez modestes (taille des parcelles, architecture des constructions), le quartier, qui accueille de nombreuses entreprises,  n’est pas encore vraiment valorisé. 

 
    Le parcellaire en 1820

Le parcellaire en 2000 ^    

Dans la seconde moitié du siècle, l’avenue Bosquet et le boulevard de la Tour-Maubourg respectent la trame parcellaire alors que l’avenue Rapp, symétrique de l’avenue Bosquet par rapport à la Seine, est surimposée, créant de ce fait des parcelles triangulaires. C'est également le cas du lotissement de l'hôpital militaire du Gros-Caillou (rue Dupont-des-Loges).

Au début du XXe siècle, après la cession du Champ de Mars par l’Etat à la ville, en 1881, et l’exposition de 1900, deux bandes de terrain sont loties de part et d’autre du Champ de Mars (avenues Elisée-Reclus, Emile-Deschanel et Charles-Floquet).

Contrairement à bien d'autres secteurs en particulier dans l'est parisien, le quartier, socialement valorisé et bien construit, ne connaîtra pas au XXe siècle d'opérations de rénovation urbaine impliquant la construction de logements collectifs sociaux (cf. L'évolution du centre de Belleville).


Liens


Sources

Delage (Irène) et Prévot (Chantal), Atlas de Paris au temps de Napoléon, Parigramme 2014.

Zunz (Olivier), Le quartier du Gros-Caillou à Paris. Annales, juillet-aout 1970.